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Juliette Rennes

sociologue et maîtresse de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales

L’avancée en âge, une question féministe.

vendredi 14 février 2020 19h00

Juliette Rennes qui a a coordonné "Encyclopédie critique du genre" parue à La Découverte, s’intéresse à la façon dont, tout au long de la vie, l’avancée en âge est traversée par des différences de genre et de classe que les sciences sociales aident à analyser.


Le Monde Diplomatique décembre 2016

Le corps des vieilles


par Juliette Rennes

Pourquoi les femmes mentent-elles davantage que les hommes sur leur âge ? Partant de cette question apparemment anodine, Susan Sontag explore en 1972 ce qu’elle appelle le « deux poids, deux mesures de l’avancée en âge (1) ». En matière de séduction, remarque-t-elle, deux modèles masculins coexistent, le « jeune homme » et l’« homme mûr », contre un seul côté féminin : celui de la « jeune femme ». Au point qu’il est admis, notamment dans les classes moyennes et supérieures, qu’une femme dépense une énergie croissante (et, si elle le peut, de l’argent) pour tenter de conserver l’apparence de sa jeunesse.

Mais la dépréciation des femmes vieillissantes ne tient pas seulement à leur éloignement des standards jeunistes de beauté. Elle provient également de la simple avancée en âge, laquelle tend à amoindrir, pour elles, les possibilités d’être plus jeunes que leurs partenaires potentiels. Cette norme de l’écart d’âge permet à certains hommes d’avoir une descendance sur le tard, ou leur offre l’assurance d’être pris en charge, en vieillissant, par une compagne plus alerte. S’adressant aux femmes, Sontag montre ce qu’elles pourraient gagner à « dire la vérité », à « laisser voir sur leur visage la vie qu’elles ont vécue » ; à s’émanciper des normes jeunistes.

Au moment de la parution de ce texte, le mouvement féministe nord-américain et ouest-européen est en pleine effervescence. Pourtant, l’approche féministe de l’âge et du vieillissement demeure marginale au cours des années 1970. Les revendications se focalisent sur le contrôle de la fécondité, sur le travail, sur la liberté de mouvement ou sur celle de vivre sa sexualité. En France, c’est seulement dans les années 2000 que des analyses mettent en relation sexisme et âgisme. Benoîte Groult et Thérèse Clerc, toutes deux disparues en 2016 aux âges respectifs de 96 et 88 ans, font partie de ces penseuses et militantes qui ont cherché à politiser leur propre vieillissement dans une perspective féministe.

Benoîte Groult était la fille d’entrepreneurs fortunés et libéraux, liés aux milieux parisiens du stylisme et de la mode. Thérèse Clerc, elle, appartenait à la petite bourgeoisie commerçante, catholique et traditionaliste. Licenciée en lettres, Groult est enseignante puis journaliste, tandis que Clerc, qui a suivi une formation de modiste, devient femme au foyer. Cependant, toutes deux ont décrit a posteriori la première phase de leur vie comme une période marquée par le poids des activités domestiques et maternelles (la première a eu trois enfants et la seconde quatre), une certaine solitude dans la vie quotidienne, l’anxiété liée à la survenue de nouvelles grossesses, doublée, pour Groult, de l’expérience réitérée d’avortements clandestins. La seconde période, définie comme une « renaissance », est associée en grande partie à la découverte du féminisme.

« Festival des cannes »

Ayant quitté son mari, Thérèse Clerc devient, à 41 ans, vendeuse de grand magasin pour gagner sa vie. Dans le contexte du Mouvement de libération des femmes (MLF), elle découvre le plaisir amoureux et sexuel hors du cadre de la conjugalité hétérosexuelle et s’éloigne de la religion (2). À Montreuil, où elle s’installe avec ses enfants, elle devient une figure du féminisme local. En 1997, elle y fonde un lieu d’échanges féministes et d’accueil des femmes victimes de violence, rebaptisé en 2016 Maison des femmes Thérèse-Clerc.

Benoîte Groult, elle, rencontre au cours des années 1950 son troisième et ultime conjoint, l’écrivain Paul Guimard, qui l’encourage à écrire. Plus tard, sa lecture des publications liées au mouvement des femmes la pousse à démystifier les normes qui ont régi son existence passée. Paru en 1975, son essai Ainsi soit-elle (Grasset) mêle une critique de son éducation féminine bourgeoise et une synthèse de recherches sur l’inégalité des sexes dans le monde. Vendu à plus d’un million d’exemplaires, il s’adresse autant aux jeunes militantes de la génération MLF qu’aux cinquantenaires, restées, pour la plupart, extérieures au mouvement (3). Propulsée à 55 ans « féministe de service », selon son expression, Benoîte Groult s’engage dans la promotion institutionnelle des droits des femmes. De 1984 à 1986, elle préside la commission sur la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions ; et, dans les années 1990-2000, elle soutient les luttes pour la parité en politique.

Journaliste, essayiste, romancière à succès, proche du Parti socialiste, vivant, selon les saisons, dans son appartement parisien ou dans ses maisons en Bretagne ou en Provence, la Benoîte Groult des années 2000 n’appartient assurément pas au même milieu social que Thérèse Clerc. Cette dernière vit modestement dans un petit appartement à Montreuil et se revendique de la pensée libertaire et autogestionnaire. Cependant, leur engagement pour la cause des femmes les a toutes deux conduites à interroger à travers ce prisme leur propre avancée en âge.

Militante, à partir de 1986, au sein de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, Benoîte Groult met en relation le combat pour l’euthanasie avec les luttes féministes pour la libre disposition de son corps. Elle forge une éthique à partir de sa propre expérience, essayant d’analyser la façon dont, face au vieillissement et au veuvage, elle a dû réinventer, pour le préserver, son rapport hédoniste à l’existence. Elle évoque une curiosité permanente pour les évolutions sociopolitiques du monde, une recherche de plaisirs sensoriels quotidiens, une appétence pour l’effort physique qu’elle a dû recomposer et ajuster aux transformations de son corps au fil du temps, ainsi qu’un goût pour la contemplation des paysages ruraux ou maritimes (4).

Mais si cette femme, dotée d’une santé solide, a pu jusqu’au bout imprimer sa volonté sur ses activités quotidiennes et sur le choix de ses lieux de vie, comment vieillir quand on n’est plus en mesure d’accomplir certains gestes ordinaires ? Que peut le féminisme, pensée collective de la liberté de disposer de son corps, lorsque ce corps multiplie les signes d’affaiblissement et de dérèglement ? À 60 ans passés, Thérèse Clerc, tout en travaillant et en s’occupant de ses petits-enfants, a dû prendre en charge pendant cinq ans sa propre mère gravement malade. Ce type d’épreuve n’est pas rare pour ceux, et surtout celles, qui jouent le rôle de pourvoyeuse (ou de pourvoyeur) de soins à la fois pour les descendants et les ascendants. Éviter de devenir à son tour une charge pour ses enfants a constitué l’une des motivations de Thérèse Clerc lorsqu’elle a imaginé, à la fin des années 1990, la Maison des Babayagas. Ce projet d’une maison de retraite autogérée, fondée sur l’entraide et la solidarité entre ses membres, est conçu pour les femmes de la génération de Thérèse, notamment celles qui, longtemps mères au foyer ou travailleuses à temps partiel, disposent d’une retraite très modeste. Créée en 2012, la Maison des Babayagas ne correspond pas en tout point au rêve de sa fondatrice (l’attribution de nouveaux logements est aux mains du bailleur public et non des habitantes), mais elle devient néanmoins un lieu d’événements militants. Elle accueille notamment l’Unisavie, une université populaire mettant en commun des luttes et des savoirs relatifs à la vieillesse. On y débat d’autogestion, d’économie sociale et solidaire, de féminisme, du vieillissement des personnes migrantes ou encore de la sexualité des vieilles et des vieux.

Dans un documentaire, en 2005, Benoîte Groult évoquait une expérience courante de l’avancée en âge : c’est d’abord à travers le regard des autres qu’elle s’était vue vieillir. Pour sa part, elle se sentait « égale à elle-même », voire, par certains aspects, plus énergique qu’à des époques antérieures. Pourtant, elle voyait changer l’attitude des autres à son égard, se développer une forme d’indifférence, de commisération et parfois de mépris à peine voilé. Elle ressentait, à travers des mots et des gestes, qu’elle n’avait plus tout à fait sa place dans des événements ordinaires de la vie sociale dont elle prenait conscience qu’ils étaient régis par des limites d’âge implicites. Dans son milieu, celui du monde littéraire, du spectacle et de la politique, où beaucoup d’hommes de son âge étaient en couple avec des femmes bien plus jeunes, elle avait également commencé à ressentir le vieillissement de son apparence comme une forme de stigmate — une expérience à laquelle, au même âge, son mari pouvait encore échapper. Se sentant impuissante à changer les règles du jeu, elle assumait d’avoir eu recours à un lifting : « Je ne vois pas pourquoi les féministes n’auraient pas le droit aux progrès de la médecine. (...) Le souci de la beauté n’est pas en soi antiféministe », se justifiait-elle (5). Thérèse Clerc n’évoluait pas dans le même monde social et ses rides n’ont pas semblé l’empêcher de séduire hommes et femmes jusqu’à un âge avancé. Elle aurait sans doute respecté l’aspiration de Benoîte Groult à présenter un visage considéré par son entourage comme plus plaisant. Mais elle aurait peut-être ajouté que toutes les femmes n’ont pas les moyens financiers de sauver leur peau à coups de bistouri.

À la Maison des Babayagas, la « beauté » cessait de n’être qu’une technique de soi mobilisée individuellement, dans la coulisse, pour devenir un enjeu d’échange collectif. Thérèse Clerc s’intéressait aux œuvres d’art montrant des corps vieillissants et avait pour projet d’organiser un « festival des cannes » qui présenterait les meilleurs films mettant en scène la vieillesse. Avec plusieurs « Babayagas », elle avait participé à une chorégraphie intitulée de façon provocante « Vieilles peaux », où s’inventaient des mouvements dansés, ancrés dans la situation subjective de personnes très âgées (6). Elle réfléchissait aux vêtements, aux parfums, aux bijoux qui peuvent embellir un corps de vieille femme sans avoir pour seul objectif de dissimuler les signes de l’âge. En octobre 2015, elle avait coorganisé, avec des élèves en arts appliqués du lycée Eugénie-Cotton de Montreuil, un défilé de mode dont les modèles étaient les « Babayagas ». Des robes chatoyantes, amples et colorées, fabriquées par les élèves à partir de chutes de cravates abandonnées par les grossistes du quartier parisien du Sentier, étaient portées par des femmes de plus de 80 ans, dont Thérèse. Défilant avec un mélange de malice et d’autodérision, celles-ci pastichaient la démarche conventionnellement orgueilleuse des mannequins : trop vieilles pour jouer le jeu, elles en profitaient pour faire un pied de nez aux normes, sous le regard séduit et troublé de spectatrices et de spectateurs de tous âges.

Traditionnellement, une femme qui ne dissimule pas sa vieillesse et qui assume d’avoir (encore) des désirs dérange, voire dégoûte, plus encore qu’un homme. Pour interroger collectivement cette anxiété, nous avons besoin de « vieilles désirantes (7) » qui sortent du placard où elles sont sommées de rester cachées. Provocatrice par ses actions militantes, son refus de tout euphémisme pour parler des misères de la vieillesse, ses références explicites à la sexualité des vieilles personnes et son énergie à vouloir changer le monde, Thérèse Clerc assumait le rôle de contestatrice de l’ordre des âges. Chez celles et ceux qui étaient un peu plus jeunes, elle parvenait à distiller, au sein de l’anxiété intime, une forme de curiosité, sinon de désir, pour cette étrange étape à venir : la vieillesse.

Il ne s’agissait nullement pour elle de nier le corps qui s’affaiblit ni la crainte de voir s’approcher le moment de la fin. Mais alors que Benoîte Groult cherchait, en tant qu’écrivaine, à rendre compte au plus près de son expérience et à lui donner une forme littéraire, le rapport de Thérèse Clerc à la vieillesse était d’abord politique : elle percevait dans ce statut discrédité une position privilégiée pour questionner un certain nombre de normes sociales qui contraignent plus directement les adultes « dans la force de l’âge ». Elle considérait la vieillesse comme un moment propice pour défier, à travers des événements concrets, l’organisation âgiste de la société et pour remettre en question ses oppositions binaires : activité/inactivité, performance/vulnérabilité, autonomie/dépendance.

Disséminer de telles expérimentations est en soi un parcours jonché d’obstacles. Quand tout est organisé pour qu’une partie de la population accepte l’idée d’avoir « passé l’âge » de contribuer à la (re)production de la société, et peut-être même à sa contestation, encore faut-il qu’aux marges se développent des espaces de critique sociale accueillants pour celles et ceux dont « le ticket n’est plus valable (8) ».

(1) Susan Sontag, « The double standard of aging », The Saturday Review, New York, 23 septembre 1972.

(2) Cf. notamment Danielle Michel-Chich, Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, Éditions des femmes, Paris, 2007.

(3) Benoîte Groult, Mon évasion, Grasset, Paris, 2008, et Une femme parmi les siennes, commentaire de Josyane Savigneau, Textuel, Paris, 2010.

(4) Cf. Catel, Ainsi soit Benoîte Groult, roman graphique, Grasset, 2013, et Benoîte Groult, La Touche Étoile, Grasset & Fasquelle, 2006.

(5) « Vieillir ou le désir de voir demain », dans Une chambre à elle. Benoîte Groult ou comment la liberté vint aux femmes, documentaire d’Anne Lenfant (2005).

(8) Romain Gary, Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, Gallimard, Paris, 1975.

(2) Cf. notamment Danielle Michel-Chich, Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, Éditions des femmes, Paris, 2007.

(3) Benoîte Groult, Mon évasion, Grasset, Paris, 2008, et Une femme parmi les siennes, commentaire de Josyane Savigneau, Textuel, Paris, 2010.

(4) Cf. Catel, Ainsi soit Benoîte Groult, roman graphique, Grasset, 2013, et Benoîte Groult, La Touche Étoile, Grasset & Fasquelle, 2006.

(5) « Vieillir ou le désir de voir demain », dans Une chambre à elle. Benoîte Groult ou comment la liberté vint aux femmes, documentaire d’Anne Lenfant (2005).

(8) Romain Gary, Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, Gallimard, Paris, 1975.


Voir en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Julie...




Messages

  • Ouest-France le 12/02/2020 / Recueilli par Metig JAKEZ-VARGAS

    ENTRETIEN.
    À Quimper, une conférence sur la banalité pour une femme « d’être jugée trop âgée »
    Vieillir, est-ce plus difficile quand on est une femme ? Juliette Rennes, sociologue, historienne et enseignante à l’EHESS, animera une conférence-débat à Quimper (Finistère), vendredi 14 février 2020. Le thème : « L’avancée en âge, une question féministe ? ».

    Une conférence consacrée à l’avancée en âge, une question féministe aura lieu aux Halles Saint-François, à Quimper (Finistère), vendredi 14 février 2020. C’est la sociologue et enseignante à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) Juliette Rennes qui l’animera.

    Nous l’avons rencontré, pour un entretien fleuve qui présente ses travaux.

    Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur le rapport entre les discriminations de genre et celles liées à l’âge ?

    Mes recherches ont beaucoup porté sur l’histoire du travail des femmes et des luttes féministes. Plus récemment, j’ai commencé à m’intéresser aux mobilisations contre les discriminations, les ségrégations et les exclusions liées à l’âge, ce qu’on appelle, depuis les années 1970, l’âgisme.

    Rien n’est plus banal que le fait d’être jugé trop âgée pour bénéficier de telle ou telle prestation ou pour exercer telle ou telle activité. Quelles sont les barrières d’âge qui suscitent des contestations et celles qui, au contraire, sont considérées comme légitimes ? Ce sont les questions sur lesquelles je travaille actuellement.

    Y a-t-il un rapport de domination des hommes d’âge mûr sur des femmes plus jeunes ?

    Oui. Cette problématique a été récemment mise ou remise en lumière par une série d’affaires rendant publiques des relations d’emprise et/ou des abus sexuels de la part d’écrivains, de cinéastes, et entraîneurs sur des jeunes filles — qui sont aujourd’hui des femmes – qu’il s’agisse du cas de l’actrice Adèle Haenel, de l’éditrice et écrivaine Vanessa Springora ou de la patineuse Sarah Abitbol.

    Or, on ne peut penser séparément cette domination érotisée des jeunes filles par des hommes d’âge avancé et le fait que des femmes d’âge mûr soient disqualifiées comme hors d’état d’usage. Le féminisme offre des outils d’analyse pour appréhender ces différentes facettes de la domination masculine.

    De quoi allez-vous parler, vendredi, à Quimper ?

    Je voudrais justement discuter de ce que recouvre le terme d’âgisme et réfléchir aux liens entre les luttes contre l’âgisme et les luttes féministes. Dans quelle mesure combattre les inégalités entre femmes et hommes implique aussi de prendre en considération certaines formes d’âgisme qui touchent spécifiquement les femmes ?

    Des penseuses féministes se sont intéressées à ces questions depuis les années 1970 mais, longtemps, l’âgisme est demeuré marginal dans l’agenda des luttes féministes, très centrées sur l’expérience des jeunes adultes, les femmes qui avaient l’âge standard d’étudier, de procréer et de travailler.

    Comment cela évolue-t-il aujourd’hui ?

    Les collectifs féministes, qui dénoncent aujourd’hui l’invisibilité des femmes dans les médias à mesure qu’elles avancent en âge, sont plus audibles que les féministes des années 1970-1980 qui évoquaient ces mêmes sujets.

    Je pense, par exemple, au collectif récent d’actrices de cinéma, le Tunnel de la comédienne de 50 ans, qui montre, chiffres à l’appui, qu’il est beaucoup plus difficile pour les femmes de plus de 50 ans de trouver des rôles que les hommes du même âge, alors que rien n’atteste qu’une femme de 50 ans soit moins bonne actrice qu’une femme de 30 ans !
    Cela a-t-il concrètement un impact ?

    Ce genre d’initiative contribue à faire changer les pratiques. Des producteurs, réalisateurs et directeurs de castings, qui se contentaient de postuler que les spectateurs et spectatrices voulaient voir des femmes jeunes à l’écran et qu’il était normal que les personnages masculins de 50 ans figurent systématiquement avec des femmes bien plus jeunes qu’eux, commencent à se rendre compte qu’ils peuvent contribuer à changer ces attentes. Notamment sur l’écart d’âge dans les couples à l’écran.

    De quelle manière les discriminations liées à l’âge touchent-elles plus les femmes que les hommes ?

    Je dirais surtout que les discriminations liées à l’âge prennent des formes différentes, selon le genre, et que les femmes et les hommes n’y sont pas confrontés aux mêmes âges. En outre, dans la mesure où il y a une surreprésentation statistique des femmes par rapport aux hommes dans les âges élevés, les problématiques liées aux discriminations qui concernent le grand âge tendent à les concerner davantage.

    Ensuite, du côté des quinquagénaires, et même des quadragénaires, les femmes sont davantage victimes, sur le marché du travail, de certaines formes de discriminations liées au rejet des marques corporelles visibles de l’avancée en âge, notamment dans des métiers très féminisés de communication ou de représentation, où l’apparence jeune est érigée en critères de recrutement.

    Cependant, il existe d’autres formes de disqualification, liées à l’avancée en âge dans le monde du travail — l’idée par exemple que les travailleurs vieillissants seraient moins compétents, réactifs, performants et innovants que les plus jeunes — qui touchent aussi les hommes, notamment dans les métiers techniques.
    Quels en sont les effets ?

    L’idée d’un déclin des capacités professionnelles lié à l’avancée en âge a un effet réel : au nom de ce principe, on tend, par exemple, à refuser aux salariés âgés l’accès à des formations professionnelles qui leur permettraient d’actualiser leurs connaissances. Ce qui risque en retour de renforcer le caractère jugé « inadapté » ou « obsolète » de leurs savoirs et de leurs pratiques.

    L’âgisme soulève plus largement la question de la dévaluation de l’expérience professionnelle et des savoirs acquis, dans de nombreux secteurs qui sont entraînés dans une course perpétuelle à l’innovation.

    Comment pouvons-nous lutter contre ces discriminations liées à l’âge ?

    Elles sont reconnues juridiquement en France depuis les années 2000 et les individus qui en sont victimes peuvent saisir la justice. Pour prévenir ces discriminations, on pourrait aussi commencer par donner une place aux questions de vieillissement et d’âgisme à l’école, comme on l’a fait avec le sexisme, le racisme et l’homophobie.

    Nous sommes dans un système social très ségrégué par groupes d’âge, où les adultes les plus âgés tendent à être perçus par les enfants et les jeunes adultes comme appartenant à un autre monde, sinon à une autre espèce.

    Les activités des collectifs professionnels ou de personnes retraitées contre l’âgisme sont aussi très importantes pour bousculer les idées reçues sur l’avancée en âge, et contrer l’assimilation, encore prégnante, entre vieillesse et déclin.

    Vendredi 14 février 2020, à 19 h, conférence-débat avec Juliette Rennes, Halles Saint-François. Tarifs : 8 € l’entrée, 5 € pour les adhérents. Gratuit pour les étudiants et demandeurs d’emploi.



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