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Jacques LE GOFF

historien

Saint-Louis : une "histoire, une vie"

jeudi 5 septembre 1996 20h30

L’historien et directeur des études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales Jacques Le Goff, qui parlera de « Saint-Louis, une histoire, une vie ». Cet auteur d’une récente et monumentale biographie de Saint-Louis est sans conteste l’un des grands spécialistes français du Moyen Age.




Le Télégramme de Brest7 septembre 1996

Jacques Le Goff et Saint-Louis : 500 auditeurs !

Une superbe « leçon » d’histoire et une salle comble (plus de 500 personnes) : le huitième cycle de conférences de « La Liberté de l’esprit » a débuté jeudi soir au Chapeau-Rouge par un rendez-vous important et très attendu, avec Jacques Le Goff et Saint-Louis. Anecdotique : nombre de Quimpérois s’interrogeaient. L’historien est-il d’origine bretonne avec ce nom bien de chez nous ? Il fallait y répondre : né à Toulon, son père est d’origine brestoise. Et Jacques Le Goff est un fervent de la pêche à l’étrille. « Un indice évident de « bretagnitude » dira son homonyme, responsable de l’association, assis à ses côtés. Ce qui sera aussi source de plaisanteries et sourires entre les deux hommes. Biographie Ces anecdotes ont donné le ton de la soirée : chaleureuse, profondément humaine. Jacques Le Goff a exposé la démarche qu’il recherche chez un biographe. « J’étais peu satisfait des biographies : on ne cherche pas à atteindre le coeur du personnage, ce qu’il y a autour de lui et qui aide à l’expliquer ». Dans cette perspective, il a orienté ses recherches tant vers Saint-Louis que vers son entourage, le contexe social de l’époque, les pensées. Donnant ainsi un éclairage qui nous échappait, remettant les choses dans l’ordre de l’époque. Saint-Louis est considéré comme le « roi de la croisade », c’est fausser sa personnalité. De même, cela ne va pas de soi qu’un roi soit saint. Pour nous, aujourd’hui, c’est une évidence mais, à l’époque, ce n’était pas dans l’ordre des choses. C’est important de voir ainsi ce que l’Histoire a fait du personnage. Le sacre C’est ce qui l’amène à poser cette question qui surprend : « Saint-Louis a-t-il existé ? ». Saint-Louis a-t-il existé tel que l’on en a l’image ?... Jacques Le Goff parlait là d’échapper à l’« illusion biographique », c’est-à-dire voir la vie du personnage illustre comme un destin. Jacques Le Goff a fait comprendre que, comme tout homme, Saint-Louis a dû chercher. Sa vie a pris un sens qui n’était ni facile ni tout tracé. Enfant-roi dans un monde féodal et guerrier, il a fallu trouver une solution pour affirmer son pouvoir : le sacre. Il a fallu surmonter l’angoisse de n’avoir pas un homme à la tête du royaume. Une cérémonie impressionnante : comment l’enfant l’a-t-il vécue ? s’interroge l’historien. Pas une évidence non plus la croisade : fait prisonnier en terre musulmane, la situation n’était pas toute tracée. Ramenant en relique la couronne d’épines, le roi vaincu a été perçu comme ayant vécu la passion du Christ. Retour triomphal. Toujours l’historien se penche sur l’homme, tout autant que sur le personnage historique, lui donnant ainsi son relief humain, son vécu, sans pour autant lui enlever son aura. « J’ai cherché à approcher le plus près possible d’un Saint-Louis roi, sans chercher à le démythifier » dira-t-il, parlant du lien particulier avec le grand roi de France. « Des rapports qui se tissent inévitablement » rajoutait-il, évoquant le caractère fascinant du personnage, son charisme qui s’exerce encore sur ceux qui veulent l’approcher. Magistral !



Ouest-France

Le " vrai saint Louis " de Jacques Le Goff

Invité par l’association " La liberté de l’esprit ", Jacques Le Goff a parlé de saint Louis à qui il a consacré une monumentale biographie devenue best-seller, devant 500 personnes au Chapeau-Rouge.

Jacques le Goff a commencé par expliquer les raisons de son choix pour l’histoire médiévale, peu séduit par la minceur des rares sources historiques antiques et rebuté au contraire par la surabondance des documents sur l’histoire moderne : le XIIIè siècle représente à ses yeux le juste équilibre et rend possible une biographie où ne se retrouve pas la fausse opposition " individu et société ", ni le faux problème entre récit et structure : " l’historien a besoin de séquences historiques, de récit ".

Jacques Le Goff insiste également sur l’importance des structures temporelles et leur relativité, du siècle au règne et au ministère : " les acteurs de l’histoire ne sont pas leurs propres contemporains " , affirme-t-il, en montrant que la biographie de saint Louis doit commencer par l’ensemble des traditions et conceptions léguées à l’enfant-roi par son grand-père Philippe Auguste " (" saint Louis est le premier roi de France à avoir connu son grand-père ") et ne s’achever qu’à sa canonisation, 27 ans après sa mort. " Pour cette raison, saint Louis est un roi du XIIè siècle, en raison de cette présence du passé récent dans cette société où la transmission des traditions est récente. "

Animé par le souci d’écrire une " biographie totale " de saint Louis, sans se laisser obnubiler par le récit fascinant des Croisades, Jacques Le Goff tente de répondre à la question : " saint Louis a-t-il existé ? " C’est-à-dire : le personnage, tel qu’il nous a été légué, possède-t-il quelque vérité ?

Illusion biographique

Derrière l’image d’Épinal du chêne de Vincennes, sous lequel le roi rendait lui-même la justice, il y a une vérité historique, explique Jacques Le Goff : saint Louis est le premier à avoir permis l’appel au roi, en recours à la justice féodale. Cette présence physique du roi illustre le moment privilégié où le contact direct sujet-roi est encore possible, alors que la bureaucratie centralisatrice n’a pas encore atteint sa pleine dimension.

Fidèle à l’enseignement de ses maîtres de l’école des Annales, Lucien Febvre et Marc Bloch, Jacques Le Goff recherche " l’histoire-problème " derrière les évidences apparentes : un roi saint, au temps où la politique se sépare du religieux, où l’État français se constitue, cela pose question : " saint Louis, ce n’est pas Clovis, ce n’est pas Jeanne d’Arc, il fait presque consensus. Les Républicains n’ont rien contre saint Louis, on ne s’est pas étripé autour de lui. Mon projet n’était pas de le démythifier mais d’approcher un saint Louis vrai, probable, authentique, en dépit de tous les mythes. " Et contre " l’illusion biographique " qui laisse croire qu’une vie s’organise dans la belle logique d’un récit, s’oriente selon un prédestination. Or, la vie de saint Louis propose une succession d’obstacles dont le premier est l’impossibilité au XIIIè sicèle d’un " roi enfant " (l’Ancien testament proclame " malheur à la ville dont le prince est un enfant ") . L’historien rencontre d’autres problèmes : le rôle exact de la mère Blanche de Castille, l’obsession de la Croisade sans doute guidée par l’image que saint Louis se fait de lui-même, une image engendrée par celle du Christ en croix, et non celle du rex léguée par l’Empire romain.

Jacques Le Goff explique enfin comment, partagé entre la fascination pour le " beau roi " et le rejet pour ses excès, ses violences, sa dévotion de flagellant, il est entré dans une intimité grandissante avec son personnage, réalisant ainsi son beau projet d’unir la rigueur de l’historien à l’égard de ses sources à l’imagination contrôlée. Un tel monument ne se résume pas, mais il faut citer ces quelques belles lignes du " Saint Louis " de Jacques Le Goff, une grande méditation sur le temps : " ... Puis il m’est devenu familier, je l’ai entendu rire, plaisanter, tacquiner ses amis, faire avec un minume d’affection des gestes simples comme celui de s’asseoir par terre. J’ai cru comprendre qu’il lui en coûtait de réfréner son naturel, la chaleur de son sang dans l’action amoureuse, la colère ou l’élan physique, le goût de la bonne nourriture, des beaux poissons et des fruits bien frais, le besoin de rire, fûr-ce le vendredi, le plaisir de bavarder. Un homme tout simplement, derrière le " sur-homme " qu’érige la bulle de canonisation " .

Le premier grand homme d’Occident à parler au quotidien et en langue française à travers ses témoins directes nous est ainsi légué sept siècle après, plus réel peut-être que ce que son temps put savoir de lui à travers son image idéalisée.

Daniel MORVAN,



Saint-Louis, " le vrai saint roi de France " Dialogue à deux voix entre les deux Jacques Le Goff

L’association " La Liberté de l’Esprit " a connu encore, jeudi soir, un très grand succès, en invitant l’historien Jacques Le Goff qui vient d’écrire une biographie exceptionnelle sur la vie et l’oeuvre de Saint-Louis en son temps. La preuve est faite qu’à Quimper on peut faire salle comble sur un sujet aussi difficile qu’un Roi vivant et régnant au XIIIè siècle. Le temps fut d’ailleurs trop court pour établir un dialogue avec la salle. C’est Jacques Le Goff, professeur de la Faculté de Brest et responsable de l’Association qui se fit plaisir en présentant son homonyme, lui-même breton par ses origines.

Le mouvement des annales en 1929

A la question : " Pourquoi avoir choisi Saint Louis pour en faire la biographie ? ", Jacques Le Goff répondit en justifiant son choix pour une période médiévale ’12, 13 ou 14è siècle). " Entre l’antiquité où les sources sont trop minces et l’histoire contemporaine où les documents sont trop nombreux, j’ai choisi volontairement le XIIIè siècle où l’équilibre des sources est à taille humaine et où un roi comme Saint Louis n’a pas encore été étudié exhaustivement ". Pour Jacques Le Goff, " l’Histoire est la science des sociétés humaines prise globalement et la science des personnes qui font ces sociétés ... en même temps que je l’explique par son environnement. C’est ce que j’appelle une biographie totale. J’essaie alors d’éviter deux risques : une fausse opposition entre l’individu et la société : un faut problème entre le récit et la structure. Comme historien, j’ai donc besoin de séquences historiques ou récits et de structures mentales ou économiques des personnes et des sociétés. Et cela je le dois à mes maîtres comme Lucien Febvre et Marc Bloch ".

Un cas particulier dans l’Histoire

Jacques Le Goff insiste ensuite sur la situation particulière à Louis IX : un long règne qui se confond avec le siècle (1226-1270, soit 44 ans !), le premier roi à connaître ses grands parents, en l’occurrence Philippe Auguste, son grand-père, qui lui raconte sa vie et ses exploits (Louis est né en 1214, l’année de la bataille de Bouvines !) ; il choisit comme premier ministre un moine hospitalier, frère Guérin, qui sera une sorte de vice-roi au temps des croisades. Son petit-fils sera Philippe Le Bel. Il sera canonisé en 1297, 27 ans après sa mort - le seul roi de France canonisé - même s’il y a eu pression des quelques " lobbys " pour le " maintenir ainsi en vie artificiellement ". Finalement, Saint Louis, un Roi du XIIè siècle, formé par des gens du XIIè siècle, mais qui a vécu sa " sainteté réelle " au coeur même du XIIIè siècle.

La technique de l’Histoire-Problèmes, contre l’illusion biographique

... dans la belle logique d’un récit et qu’elle s’oriente selon une pré-destination. La vie de Saint Louis de Jacques Le Goff propose une succession de problèmes ou d’obstacles que nous allons évoquer :

 Saint-Louis est un roi, enfant mineur et la Bible signale : "malheur à la ville dont le prince est un enfant " Et bine sûr, c’est la révolte des Seigneurs, de Princes et en particulier le prince de Bretagne, le Duc d’Anjou que Saint Louis n’aimait guère.

Enfant, il est fragile, sans " bouclier ", frêle intermédiaire entre Dieu et ses sujets, sacré " à la va-vite " à Reims en 1226, alors qu’il a seulement 12 ans.

 La mère de Saint Louis est Blanche de Castille, une étrangère : elle garde et sert de tutelle au jeune Roi. Son nom est associé à celui de son fils dans les papiers officiels au moins jusqu’à la Croisade de 1244.

 La relation de Saint Louis à la Croisade dont il se fait une mystique de vie : une image engendrée par celle du Christ, souffrant, couronné d’épines, humilié, mort sur la croix. Il ramène pour la Sainte-Chapelle de Paris l’insigne relique de la " couronne d’épines ". Il suit le Christ de la Passion pour revenir comme Christ vainqueur, au retour de la Croisade. Il purifie le Royaume, supprime les maisons de prostitution, prône un certain ordre moral et devient ainsi un roi eschatologique.

 La dernière croisade où il meurt. Il part à nouveau pour la Terre Sainte en 1269 et meurt à Carthage en 1270, loin de Saint-Denis où sont enterrés tous les rois. Comme assu ... enjeu politique ".

 La Canonisation rapide Louis IX, 27 ans après sa mort. Jacques Le Goff y voit la conjonction de trois courants porteurs : la famille royale d’abord, les nouveaux ordres religieux (Dominicains, Franciscains) marqués par la pauvreté et la simplicité du roi Louis, et enfin le devoir de mémoire de Saint-Denis à Paris, gardienne des lieux saints de la lignée royale.

Un homme passionnant derrière le " sur-homme "

Finalement, un roi " programmé " par sa Mère, par sa famille ou par le regard de ses contemporains ? Ce Saint Louis là a-t-il existé ? C’est une question que se pose l’historien. Il y a sans dout du " Robert Le Pieux " dans le service des pauvres à table ; il y a peut-être du Charlemagne ... ture ou de pratiquer les pénitences corporelles ; mais Jacques Le Goff sait pourtant que le mythe du Chêne de Vincennes est une vérité historique : Saint louis est le premier à avoir permis l’appel direct au roi, face à la justice féodale. Il sait aussi que c’est lui qui interdit les " guerres privées " et qui fait battre la " monnaie royale ", la seule utilisable sur tout le Royaume. Un roi qui est saint, dans un siècle où il est difficile de l’être ! Le Dernier et le Seul des Rois canonisés, un peu " gallican ", protestant contre l’hégémonie du Pape, affirmant l’autonomie du Pouvoir Civil. Un roi sympathique où le visage humain simple et cordial transparaît souvent derrière la " Bulle de Canonisation " de Boniface VIII.

Jean PÉRON,



Biographie

Jacques Le Goff (né à Toulon le 1er janvier 1924) est un historien français spécialiste du Moyen Âge.

Ses maîtres sont Charles-Edmond Perrin (1887-1974), le directeur de thèse de Georges Duby, et Maurice Lombard (1904-1965). Il rappelle aussi volontiers l’influence d’Henri Michel, qui fut son professeur d’Histoire au lycée de Toulon.

Ancien élève de l’École normale supérieure, étudiant à l’université Charles de Prague en 1947-1948, agrégé d’histoire en 1950 (quatrième ex-aequo avec Alain Touraine) et membre de l’École française de Rome, il est nommé assistant à la Faculté de Lille (1954-1959) avant d’être attaché de recherche au CNRS (1960) puis maître-assistant à la VI° section de l’École pratique des hautes études (1962).

Bien qu’il n’ait jamais préparé de thèse de doctorat, Le Goff succède à Fernand Braudel en 1972 à la tête de l’École des hautes études en sciences sociales, où il est directeur des études. Il cède sa place à François Furet en 1977. Historien du mouvement dit des Annales, il se consacre à l’anthropologie historique de l’Occident médiéval.






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